Un panorama des monnaies sociales et complémentaires en Europe
Wojtek Kalinowski, mars 2014
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Résumé :
Les monnaies sociales et complémentaires tentent de répondre à la triple crise économique, sociale et écologique à laquelle les pays européens sont confrontés depuis plusieurs décennies. Les évolutions récentes en France reflètent assez fidèlement les dynamiques observées ailleurs en Europe occidentale : les toutes dernières années ont été marquées par la multiplication des banques de temps et des monnaies locales soutenues par les collectivités territoriales. Dynamique et innovant sur le plan social mais aussi technique, ce mouvement suit globalement une évolution cyclique, avec plusieurs « vagues » d’essaimage suivies d’un déclin relatif, et au final peu de projets suffisamment pérennes pour permettre un bilan solide.
Le dynamisme des dispositifs varie d’un projet à l’autre, et la dynamique d’ensemble d’un pays à l’autre : la Grande-Bretagne et l’Allemagne paraissent comme des sources majeures d’innovation, en partie grâce à la coexistence des traditions intellectuelles locales (E. F. Schumacher et le mouvement écologique, Silvio Gesell et la « monnaie franche », etc.) et des diffuseurs d’idées capables de mobiliser les acteurs de terrain (comme la New Economics Foundation ou le Schumacher College en Grande-Bretagne). En comparaison, la vague plus récente de monnaies sociales et complémentaires dans l’Europe méditerranéenne porte les marques des solutions de nécessité élaborées dans le contexte d’une crise sociale sans précédent. Et la plupart des tentatives pour implanter les monnaies complémentaires dans l’Europe centrale et orientale – ou, plus rarement, dans les pays scandinaves – se sont soldés jusqu’ici par l’échec.
Ce rapide panorama européen ne prétend à aucune exhaustivité – nous en avons notamment exclu les projets de plate-forme d’échange interentreprises – et il ne se veut pas conclusif : il est trop tôt pour dire jusqu’où portera la vague la plus récente d’innovations monétaires en Europe, celle qui a émergé dans le sillage de la crise économique 2008/2009. On peut néanmoins observer que les projets demeurent fragiles parce qu’ils évoluent dans un contexte institutionnel hostile au principe même de la pluralité monétaire. D’où l’intérêt de suivre la nouvelle législation italienne et la pratique des collectivités territoriales britanniques. Mais le problème vient plus profondément de l’articulation de la sphère des échanges « parallèle » avec l’organisation économique dans son ensemble. Là où elle repose sur la distinction entre activités professionnelles et non professionnelles (comme dans le cas des SEL et de la plupart des banques de temps), cette articulation est plus facile mais ses effets sont aussi plus limités, réparateurs plus que transformateurs, et l’histoire des projets de monnaie complémentaire enseigne que l’engagement des bénévoles tend à s’épuiser avec le temps. Là où la monnaie parallèle intègre au contraire le circuit commercial, le potentiel est plus grand mais la circulation se révèle limitée : rares sont les exemples de projets affichant 1000 utilisateurs. Beaucoup d’efforts ont été déployés ces dernières années, non sans succès, pour faire accepter les monnaies par les commerces locaux, mais le véritable problème apparaît du côté des utilisateurs individuels, qui semblent réticents à s’en servir alors même qu’ils disent partager les valeurs que les monnaies sociales portent. En conséquence du faible nombre d’utilisateurs, le soutien financier nécessaire au maintien des projets dépasse en règle la masse monétaire en circulation, les recettes propres restent limitées alors que les bailleurs de fonds s’attendent à une auto-suffisance progressive. Bien conscients du défi, les porteurs de projets misent surtout sur les améliorations techniques, les partenariats institutionnels et une meilleure communication vis-à-vis des habitants. Les prochaines années montreront dans quelle mesure ces réponses permettront de relever le défi de la pérennisation.
Texte issu d’une contribution à la mission interministérielle sur les monnaies locales et complémentaires, créée en février 2014 par Benoît Hamon et Cécile Duflot, alors respectivement ministre de l’ESS et ministre de l’Egalité des territoires et du logement, et confiée à Christophe Fourel, Chef de la Mission Analyse Stratégique, Synthèses et Prospective à la Direction Générale de la Cohésion Sociale, et à Jean-Philippe Magnen, alors élu Nantes et Nantes métropole en charge de l’ESS et vice président du RTES.
Sources :
Institut Veblen www.veblen-institute.org/