Gouvernance, économie sociale et développement durable en Afrique

Chaire de recherche du Canada en développement des collectivités, Série Recherche, no 16, Université du Québec en Outaouais, 28 pages.

Yao Assogba, 2000

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Resumen :

orsqu’on se réfère à l’histoire, on constate que l’économie sociale a tendance à faire un retour en force dans les pratiques populaires, à des périodes de crises sociales, économiques et politiques très aiguës. C’est la raison pour laquelle, sans doute, Gueslin (1987) dit que l’économie sociale est un " vocable éclique " qui a été inventé au XIXe siècle. À ces périodes dures, les acteurs collectifs les plus frappés par la crise, en général devenus les laissés-pour-compte de l’État (ou de l’instance qui en tient lieu) et du marché, prennent alors des initiatives pour donner des réponses à leurs besoins de survie et de vie. Ainsi, divers travaux consacrés aux pays d’Europe ont montré que les vagues de développement de l’économie sociale correspondaient, toutes choses étant égales par ailleurs, aux grandes mutations du capitalisme (Chanteau, 1995).

Le regain de vie de l’économie sociale au cours des vingt dernières années aussi bien au Nord qu’au Sud représente la réponse que les mouvements sociaux tentent d’apporter aux problèmes de chômage, de précarité, d’exclusion sociale, de pauvreté que connaissent les personnes, les collectivités locales et régionales. Au total, on peut dire que la remontée générale de l’économie sociale est, dans une certaine mesure, la riposte à la mondialisation de l’économie de marché, au recul de l’État-providence dans différents domaines de la vie sociale, aux effets pervers des Programmes d’ajustement structurel (PAS) dans les pays en développement et à la promotion des pratiques de la gouvernance dans les pays du Nord et du Sud (Defourny, Favreau et Laville, 1998 ; Boucher et Tremblay, 1999).

Dans le cas plus particulier de l’Afrique subsaharienne, il est intéressant de noter que les organisations locales de solidarité, de mutualisme et de coopération existaient avant la colonisation européenne. Ces organisations ont émergé et se sont développées au sein des sociétés africaines en réponse à des besoins sociaux, matériels et culturels spécifiques. Elles ont évolué dans le temps en prenant diverses formes et divers modes de fonctionnement, pendant la période coloniale et post coloniale (Éla, 1998a ; Latouche, 1998). C’est ainsi que par exemple, la persistance de l’incapacité des États post coloniaux à satisfaire les besoins fondamentaux des populations en matières d’alimentation, de santé, d’éducation, de logement, etc. depuis les années 1960 ou quatre décennies, a eu pour effet le développement quasi-permanent par les populations rurales et urbaines d’une forme d’économie sociale. Celle-ci est donc datée et située. Autrement dit, l’économie sociale en Afrique a, elle aussi, une historicité.

Mais les initiatives d’économie sociale au sein des populations africaines ont été longtemps sous-estimées et méconnues par les États post coloniaux ainsi que par les organisations multilatérales de développement et de coopération internationale ; et cela depuis les années 1960 jusqu’à la restauration du concept de gouvernance dans les années 1990 en passant par l’application des Programmes d’ajustement structurel (PAS) imposés dans les années 1980 par les institutions de Brettons Woods, à savoir la Banque mondiale et le Fonds monétaire internationale (FMI). Par ailleurs, l’économie sociale a constitué depuis longtemps un champ d’étude et de recherche des socio-anthropologues africains (Éla, 1990 ; Dia, 1991) et africanistes (Olivier de Sardan, 1985 et 1995 ; Peemans, 1997). Ces études et recherches ont mis en lumière les activités concrètes d’économie sociale dans divers secteurs ainsi que leurs contributions originales au développement dans les zones rurales et les urbaines des pays d’Afrique.

Depuis lors et la crise du développement aidant, l’économie sociale semble acquérir une certaine reconnaissance des experts nationaux et internationaux du développement. C’est dans cette perspective qu’il convient de situer l’intégration, dès le début de 1990, du concept de gouvernance dans les discours développementalistes des experts de la Banque mondiale et du FMI (Osmont, 1998). La gouvernance suppose un partenariat entre le secteur public, le secteur privé et la société civile ou les mouvements sociaux. Or un des acquis, certes limité, des mouvements de démocratisation en Afrique au sud du Sahara au cours de la décennie 1980-1990, a sans doute été l’émergence ou plutôt la (re)émergence d’espaces quasi-autonomes ayant permis le regain de vie d’organisations et d’associations issues de la société civile. Faisant une rupture épistémologique avec les thèses africanistes qui nient l’existence d’une société civile en Afrique au sud du Sahara, Célestin Monga appréhende cette notion sous l’angle de l’historicité et en vient à proposer ainsi une définition adaptée. Pour lui dans le contexte africain, l’expression " société civile " désigne tous ces " lieux d’éclosion des ambitions des groupes sociaux, et d’élaboration des modules d’action pour un supplément de liberté et de justice " (Monga, 1994 : 102). Sous une formule lapidaire, l’auteur veut signifier que la société civile en Afrique noire est constituée de tous ceux et celles qui " gèrent la colère collective " contre l’autoritarisme et le " sous-développement « .

Dans le cadre politique actuel de la gouvernance, il est intéressant de faire une analyse de l’économie sociale comme mécanisme susceptible de contribuer au développement durable en Afrique subsaharienne. Ce texte tente de montrer que la mise en application véritable de la gouvernance dans les pays de la sous-région, peut favoriser, à certaines conditions, le déploiement des activités d’économie sociales sur une plus grande échelle. Intégrée, par ailleurs, dans les politiques nationales et les programmes de développement et de coopération internationale, l’économie sociale permettrait le passage des pratiques de survie aux pratiques de développement durable.

Fuentes :

Site de l’Observatoire de l’Economie Sociale