Interview avec M. Deguenon Victor, Coopérative des jardiniers de Houéyiho (CJH), Cotonou, République du Bénin

M. Déguénon Victor est âgé de 60 ans, marié et père de 8 enfants. Il a embrassé la carrière de jardinier depuis le 5 janvier 1972. Il a été élu président déjà une fois au niveau de l’Association des jardiniers de Houéyiho en 1992. En raison des réformes inhérentes à la décentralisation, il a été réélu à la dernière élection pour porter son savoir-faire à l’œuvre de l’émergence de leur coopérative.

Aurélien Atidegla, aprile 2004

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1- Présentation

M. Déguénon Victor est âgé de 60 ans, marié et père de 8 enfants. Il a embrassé la carrière de jardinier depuis le 5 janvier 1972. Il a été élu président déjà une fois au niveau de l’Association des jardiniers de Houéyiho en 1992. En raison des réformes inhérentes à la décentralisation, il a été réélu à la dernière élection pour porter son savoir-faire à l’œuvre de l’émergence de leur coopérative.

{{2- Quel est l’objectif principal de votre activité économique?

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La coopérative des Jardiniers de Houéyiho, est un coopérative de services et en tant que telle, elle vise à offrir au membres, l’accès à certains services comme l’approvisionnement en intrants, la formation, l’entraide etc.. La superficie totale du domaine qui est de 15 ha a été divisée en cinq zones occupées par cinq groupes de jardiniers. Le nombre total d’acteurs actuellement enregistrés sur le site est de 354 dont 54 femmes. La coopérative vise également la promotion des bonnes pratiques, la solidarité entre les membres. Chacun a une parcelle de 1200 m². Celui qui ne met pas sa parcelle en valeur pour des raisons non justifiées se voit dépossédé et la parcelle est attribuée à une autre personne car la demande est assez forte et beaucoup de personnes n’ont pu être installées quoique manifestant un intérêt profond. Une autre dimension de ce que nous faisons, est que nous préparons la relève à travers la possibilité offerte aux jeunes d’offrir des services rémunérés comme l’arrosage, la trouaison, le repiquage, l’épandage, l’ameublement du sol et la confection des planches et même la récolte. Le but visé est d’offrir aux jeunes élèves une formation parallèle comme une autre corde à leur arc. Dans ce cadre, nous recevons beaucoup de jeunes surtout pendant les vacances.

 

3- 4 Pratiquez-vous une économie différente ?si oui en quoi se différencie-t-elle de l’économie dominante ? Si non pourquoi ?

Nous sommes une coopérative de services. En cela nous faisons des commandes groupées d’intrants. Mais chacun travaille sur sa parcelle et a le résultat reflétant l’effort qu’il a consentit.

Nous pratiquons donc une économie différente de l’économie dominante pour plusieurs raisons. D’abord la coopérative que nous animons est un système dynamique regroupant plusieurs entreprises familiales avec un linkage très fort de solidarité. Nous ne nous mettons pas dans une situation de concurrence entre membres. Un marché de maraîchers a été mis en place à la faveur de l’existence de ce centre et est animé prioritairement par les femmes des jardiniers auxquelles s’ajoutent d’autres femmes des environs. Au niveau des groupes, les membres développent un esprit d’assistance et de solidarité à travers de petites tontines informelles, des assistances de diverses manières en cas de difficultés allant de l’exécution des tâches sur les planches au respect du calendrier agricole. La circulation de l’information se fait grâce à des réseaux de communication bien structurés et par observation sur site. Ceci met tous les acteurs au même niveau de technologie et la diffusion des innovations se fait très rapidement.

Cela se fait très rapidement grâce à l’ouverture des acteurs et aux facilités d’échange entre eux. Il en découle une émulation stimulant la production à l’échelle individuelle.

5-6-7 D’après vous, qu’est-ce que l’abondance ? L’abondance matérielle est-elle un but ou un moyen d’atteindre quelque-chose de plus? Qu’est-ce qu’est ce plus?

L’abondance comprend des éléments matériels et financiers. Il faut avoir l’argent. Plus on en a plus on est respecté et considéré dans la société. Celui qui n’a pas d’argent n’a rien. L’abondance permet de préparer la relève, pour nous remplacer, l’éducation, la réalisation des choses qui seront utiles pour les enfants, la mise en place d’une corde initiale au bout de laquelle les enfants tisseront la nouvelle corde. Sans une corde initiale que feront-ils ? Ils devront commencer à partir de zéro et ce sera plus compliqué, vu tout ce qui se passe aujourd’hui.

8-9-10 Quelles sont les valeurs que vous et vos compagnons pratiquez dans votre vie et dans votre travail de tous les jours ?d’après vous, est-il possible que ces valeurs prédominent un jour dans l’ensemble de la société ? Comment peut-on les généraliser ?

La CJH met au centre de ses activités, la culture de l’honnêteté et de la solidarité. La solidarité entre les membres se manifeste à travers les groupes d’entraide, de tontine et les nombreuses causeries informelles entre eux. Les performances réalisées par chaque acteur sont suivies de près afin de voir comment l’aider à toujours progresser. L’honnêteté par contre est une loi divine. Chaque coopérateur s’évertue à l’intégrer dans ses habitudes.

Oui, il est possible de voir ces valeurs prédominer un jour. En fait ce sont des valeurs qui permettent de prévenir nombre de maladies sociales de notre époque. La corruption pourrait disparaître si l’honnêteté et la solidarité prennent siège. Il s’agit des problèmes individuels ayant une envergure internationale. Pour parvenir à promouvoir ces valeurs, il faut d’abord les faire partager par des groupes d’intérêts comme les coopératives et associations qui devront offrir un modèle alternatif de développement.

{{11- Quelles innovations avez-vous développées sous la forme d’organisation, de gestion et d’appropriation des fruits du travail ?

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Vous savez, nous sommes en milieu urbain et à l’époque, il était difficile de concevoir une forme d’agriculture péri-urbaine. Il a été très difficile pour nous de nous engager dans ce secteur. Beaucoup de personnes bien intéressées à l’époque, ont raté la carrière tout simplement en pensant aux « qu’en-dira-t-on ? ». Aujourd’hui, nous sommes parvenus à montrer qu’il est aussi possible de faire l’agriculture dans une grande ville comme cotonou. Autrement, comment les ménages nantis feront-ils leurs salades ? Les légumes feuilles, où les trouvera-t-on frais ? Je pense qu’il s’agit d’une grande innovation que nous avons apportée : l’offre de produits maraîchers disponibles en toute saison pour des demandes de plus en plus grandes. Avec les supermarchés, la demande a quintuplé.

Considérez-vous qu’il est important de travailler dans un réseau de solidarité ou dans une chaîne productive solidaire ? En quoi consiste-t-elle selon vous ?

Je ne sais pas si on travaille déjà en réseau mais nous avons des échanges avec les autres coopératives. Mais il faut des gens pour mieux nous orienter pour qu’on ne soit pas fermé.

14- Votre activité a-t-elle de l’influence sur la vie de la communauté ? Comment et dans quelles sphères ?

L’influence de nos activités se mesure à plusieurs niveaux. D’abord grâce à notre détermination, et les résultats que nous avons eus, beaucoup de personnes comprennent qu’on peut piocher en pleine ville. C’est la première influence. Ensuite, nombreuses sont les familles démunies à qui la coopérative a redonné vie à travers le renforcement de leurs pouvoirs d’achat, l’offre d’emploi permanent les libérant du joug de la pauvreté et de l’ennui. Beaucoup de femmes urbaines de Cotonou ont pu s’impliquer en aval pour asseoir les bases d’un filière maraîchère assez dynamique qui n’attend que l’impulsion de l’Etat ou d’autres acteurs non gouvernementaux pour se perfectionner.

15- D’après votre expérience, qu’est-ce que le travail ? quelle valeur et quelle signification a-t-il dans votre vie ?

Le travail de la terre résume tous les sens possibles qu’on peut donner au mot « travail » : c’est semer pour récolter. C’est-à-dire prendre son temps pour faire quelque chose de bon puis en jouir plus tard. Le travail du maraîcher le fait vivre et fait vivre les autres à coté de lui. Cela met en jeu la solidarité ancestrale qui caractérisait le travail et que nous devons faire renaître. Le travail libère l’homme de la pauvreté des vices et de l’ennui. Mais le travail n’a aucun sens s’il est gangrené par la malhonnêteté, la corruption, la négligence, et le vol. Ce qu’on observe de plus en plus dans les économies formelles dominantes tant au niveau du public que du privé car le système de contrôles participatifs ne fonctionne pas convenablement

16 Rôle de la femme au sein d’une initiative économique caractérisée par la coopération et la solidarité ?

Les femmes sont en amont (productrices) et en aval (commercialisation et cuisines au sein des ménages) dans notre coopérative. L’existence de femmes permet à la coopérative d’agir avec beaucoup de prudence. Mais pour qu’elles puissent bien jouer leur rôle, il leur faut une formation conséquente.

{{17- Comment les politiques publiques et l’Etat peuvent-ils contribuer au progrès socio-économique ?

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L’Etat peut beaucoup en encourageant les initiatives de la société civile et en offrant aux acteurs des formations et un suivi constant. Ensuite l’Etat devra à son tour veiller à donner les bons exemples. Ce qui n’est pas le cas jusqu’à présent.

1{{8- Croyez-vous que la mondialisation de la coopération et de la solidarité

est possible? Comment faire pour qu’elle devienne vraie?

}}

Bien sûr. Qu’avons-nous à apporter sur le marché de la mondialisation outre notre culture ? Or notre culture est très riche en valeurs positives. Il faudra que nous fassions entendre nos voies afin que les comportements puissent changer.

{Interview avec M. Deguenon Victor, réalisé par Euloge Agbessi, Assistant de M. Atidela

Nom de l’institution: Coopérative des jardiniers de Houéyiho (CJH)

Lieu: Cajehoun, Cotonou, République du Bénin

Date: 23/04/2004

Contact : Jardin de Houéyiho, Cadjèhoun, Cotonou}

Fonti :

Chantier Vision du PSES

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